La suite du journal de bord de Tafolpa lors de son périple 2006.

par Charlotte et Pierre-André (TAFOLPA) - 30.05.2006

Croisière 2006 Ile d'Elbe
Varazze à Livourne IT

Livourne, le 30 mai 2006

Chers Amis,

Fini de baigner dans le luxe, il faut y aller. Une carte pleine de rails (sorte d'autoroute oů passent les très gros) dans toutes les directions il va falloir ouvrir l'oil. Cela nous fera un bon entraînement pour la rencontre des First 30 cet été à FOS. Avec son ancre postée à l'avant TAFOLPA a l'air d'un moustique pręt à se battre contre ferries ou autres pétroliers.

Le temps est beau, juste une petite brise qui nous permet de sortir les voiles, une manière complémentaire de nous signaler en plus des réflecteurs radar que nous portons discrètement dans nos filières. Les voiles sont dehors mais c'est le moteur qui fait l'essentiel du travail. Un premier pétrolier passe au loin (3-4 milles), rien à signaler.

« Point de rencontre » annonce CHA pour un deuxième monstre. Confirmation, répond PAM après un contrôle au radar, impact dans 20 min ! Nous attendons 15 bonnes minutes sans rien changer ni à notre vitesse ni à notre cap. Le capitaine pense que modifier ses paramètres de navigation pendant l'approche peut semer la confusion, mieux vaut que chacun montre clairement ses intentions, le moins prioritaire ou le plus faible change au dernier moment! Vu du Tafolpa la situation est ressentie comme un gigantesque bras de fer dont on connaît par avance la désespérante issue. Virement de bord ! Et la montagne passe à côté de nous, à une distance suffisante pour que nous n'ayons pas la tentation d'échanger des civilités.

Un détail nous interpelle depuis quelques jours. Les très gros navires rejettent leur eau de refroidissement sur l'avant, à l'endroit des ancres. PAM dit que c'est pour obtenir un meilleur mélange dans la vague d'étrave par égard aux ętres vivants dans la mer, il le pense mais n'en sait rien, si quelqu'un connaît la vraie réponse . merci. Nous aurons ainsi vu cinq très gros navires dont deux de très près, notre route se poursuit jusqu'à Portofino.

Portofino, un site merveilleux, une baie à la végétation luxuriante. De nombreuses petites maisons sont venues là pour admirer le site, comme il n'y a que peu de place elles doivent se serrer les une contre les autres. Elles sont magnifiquement colorées du jaune au rouge en passant par les ocres. Cela donne au site des airs de fęte, on se sent heureux de s'y trouver. Quelques dizaines de magnifiques barques locales sont amarrées sur des bouées. Un site de rêve .enfin, si il n'y avait pas les touristes. Ils arrivent par la mer, par la terre et semblent déferler sur ce paisible patelin comme des fourmis ayant découvert une friandise. Les yachts privés encombrent l'entré de la baie cela donne le tournis, dire que nous faisons partie de ce cirque. Excusez-nous d'avoir dérangé, mais nous sommes si petits.

Il n'est donc pas question de mouiller dans la baie comme prévu initialement, nous nous rendons à Lavagna. CHA appelle sur la VHF (radio officielle du bord) pour nous éviter une déconvenue. Nous y passerons la nuit après avoir été reçu de fort belle manière par le personnel du port, PAM est admiratif devant CHA qui se débat dans un mélange d'italien, d'anglais et de français avec cette curieuse façon de communiquer. Ici TAFOLPA Tango Alpha Foxtrot Lima Papa Alpha .

Nous devons procéder par grandes étapes pour deux raisons :
a) le but de notre voyage c'est l'île d'Elbe
b) les ports avec une profondeur de 2 mètres ne sont pas nombreux pour accueillir notre quille.

Nous avons choisi Viareggio, ce nom nous dit quelque chose. De la famille ou des connaissances venaient passer des vacances ici à l'époque oů l'on nous parlait des plages Italiennes comme d'un ultime ręve, la réussite de sa vie. Cela ne nous rajeunis pas.

Partis à huit heures le matin nous arrivons à 17 heures à Viareggio dans une monstrueuse kermesse. C'est le dimanche de l'Ascension mais quand męme ! Des bateaux de toute taille dans tous les sens. A l'entrée du port PAM repère une sorte de canal avec des bateaux amarrés contre un mur, oh les pauvres. Ce mur est en fait l'envers de la jetée sur laquelle des centaines de personne font l'aller retour en observant en contrebas ces drôles d'embarcations mal accrochées au mur.

Il y a aussi les éternels pêcheurs de port dont les papilles doivent ętre insensibles au goût de vase (j'ai un mot beaucoup plus vilain en tęte). Il y a ceux qui relèvent les vieux cordages qui trempent dans l'eau depuis assez longtemps pour que des grappes de moules s'y soient développées. « Bon appétit » dit CHA à un de ces amateurs de fruit de mer « Merci ! » dit-il, avec un grand sourire.

Bon, il faut trouver une place et faire le plein de gasoil. La pompe est un bon endroit pour s'orienter et demander quelques renseignements. Inaccessible la pompe, pour au moins une heure encore. Une dizaine de dériveurs y sont agglutinés, ils sont sortis de l'eau à cet endroit avec une sorte de grappin.

Une place libre sur un ponton, PAM commence la manouvre pour l'occuper. Arrivent en trombe deux cowboys sur un zodiac «no, no, sei pieno» «Avons contacté la capitainerie par VHF.place réservée.». Ils doivent avoir répondu quelque chose comme «on s'en fout» en tout cas la mimique correspondait à ça. Dans l'embouteillage général, PAM manoeuvre TAFOLPA tout en méditant sur l'attitude à adopter. Ont-ils pitié de notre petit voilier ? Revoici les cowboys, «pouvez aller au mur et en plus c'est gratuit» non, ils n'ont décidément pas pitié de nous.

Nous sommes fatigués, nous allons vers le mur de la honte. Pour amarrer il y a une bite monumentale en pierre taillée tous les 35 mètres environ. Le mur est haut et semble inaccessible. Le vent ! Il faut tenir compte du vent et commencer l'amarrage étrave au vent, ensuite on a le temps de trouver les longs cordages pour l'arrière, ceux qu'on ne sort jamais et qui sont toujours emmęlés.

Une opportunité s'offre à nous, un skipper est sur le mur, il essaye de trier dans le tas de cordages enroulés sur la bite. On lui en donne un de plus, il l'accepte, l'attache puis aimablement propose de fixer celui de derrière, il est beaucoup trop court, il faut en chercher un plus long ..

Nous ne sommes pas dans un chenal du port, c'est une rivière ! Une rivière avec un bon courant. Avoir pensé au vent et pas au courant, c'est la honte, c'est męme tellement la honte que TAFOLPA est complètement en travers de la rivière. «Largue tout, vite largue tout». CHA interloquée ne comprend pas la gracieuse fantaisie du voilier entrain de se replier contre le bateau en aval, comme on ferme un portefeuille. Elle hésite à larguer une amarre dont elle sait que la remise en place sera un travail un peu au-dessus des forces de l'équipage. L'équipage du TAFOLPA en a vu d'autre mais pas sous les quolibets, il y a des dizaines de personnes sur la jetée qui suivent et commentent la maneouvre, il y en a de plus en plus puisqu'il y a spectacle. Leur hypothalamus de romains doit ętre à la fęte, eux là-haut et les gladiateurs en bas. Je n'ose pas regarder, ils doivent tous avoir le pouce tourné vers le bas.

Un quart d'heure plus tard, sans aide et sans bavure, TAFOLPA est attaché à son mur, vision lamentable, que nous pensons ne jamais oublier. CHA mitonne un bon petit repas, accompagné d'un verre de vin italien nous nous sentons bien à l'intérieur. Oublié le mur une bonne nuit de récupération et ..

Alerte rouge à la météo, demain tempête généralisée sur le bassin. Impossible d'affronter le gros temps dans cette rivière. Nous quittons notre mur pourtant très attachant, il est 20h15. Navigation de nuit jusqu'à Livourne.

Nous avons le temps de créer quelques points de route pour le GPS, l'entrée est délicate et il vaut mieux se présenter sous le bon angle, nous emprunterons la petite entrée au nord, c'est direct et nous aurons moins de chance qu'un cargo s'y présente en même temps que nous. Comme d'habitude les feux rouge et vert de l'entrée de port sont noyés dans une orgie lumineuse d'éclairages et enseignes divers. Nous avons le rouge 3 éclats 10sec mais impossible de trouver le vert. Nous examinons depuis 15 min au moins les 20 à 30 degrés habituels devant nous. Rien. Le feu doit être en panne, en dédommagement nous en avons au moins une dizaine d'autres.

Là ! A tribord, à côté de nous, notre feu est là mais tellement loin, est-ce possible, l'entrée est gigantesque. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises, Livourne est le port de la démesure. La recherche du chenal se fait à la carte électronique et au radar, la projection de notre cap sur la carte nous est vraiment très utile. Arrivés dans le dock des bateaux de plaisance il y a deux ferries, pas sûrs que nous soyons au bon endroit. Un ponton flottant avec les voiliers d'un Yacht Club dispose de quelques places
libres. Amarrage, quick soupe et au lit l'équipage, il est 00h30, on verra bien demain.

Miracle, nous apprenons vers les dix heures que nous pouvons rester amarrés à la place choisie au hasard cette nuit et comme si on n'attendait plus que nous le spectacle commence.

Un énorme ferry arrivé après nous est déjà sur le point de repartir, hallucinant la grandeur de ce navire et il manoeuvre seul, avec des hélices transversales. Les nombreuses grues se mettent à sonner les matines, robuste comme des champion d'haltérophilie, elles déplacent d'énormes charges. Leurs cloches signalent quelles se déplacent, à ceux qui sont sur leur chemin de
faire gaffe. Le grutier est dans une petite cabine annexe d'une vraie maison, parfois avec une cheminée perchée à 30 -40 mètres. De là-haut il ne voit rien de ce qui se passe sous son engin. Le petit pétrolier, eh oui il y en a des petits, fait le plein de carburant aux cargos et ferries qui défilent pendant toute la journée. Les remorqueurs chauffent toute la journée, à leur forme on devine leur ténacité et męme une certaine pugnacité, il faut les voir fumer de rage en tirant ou poussant des engins 100 fois plus grands qu'eux. Vers le soir vient l'heure des rameurs, le canot moteur du coach-gueuleur de service à beaucoup de peine à soutenir le rythme des 4 ou 8 avec barreur.

Hier nous sommes allés en ville, nous n'étions plus habitués à la pollution, pouah, nous n'avons pas fait long. Le coup de vent attendu n'est arrivé qu'en fin de nuit, il a atteint son paroxysme vers 10h ce matin. Nous avons donc eu l'impression de passer la fin de la nuit et la matinée dans une machine à laver. Ce soir le ciel est dégagé, le vent est tombé. Une mer très forte est annoncée pour demain, nous ne partirons donc que jeudi matin pour Piombino, une grosse journée de 45 milles sans possibilité d'étape intermédiaire. Nous espérons sortir du port sans croiser super ferry dans l'entrée !

Le moral est bon le corps arrive à suivre tant bien que mal que demander de plus. Avec les cordiales salutations de l'équipage du TAFOLPA

 Charlotte &Pierre-André.


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