La quatrième partie du journal de bord de Tafolpa lors de son périple 2006.
par Charlotte et Pierre-André (TAFOLPA) - 7.06.2006 

Croisière 2006 Ile d’Elbe
De Portoferraio au Continent
Marseille, le 15 juin 20

Chers Amis,

Le gars à la ponceuse ne fait pas partie du personnel du chantier naval, il peut donc nous gratifier de son art jusqu’à pas d’heure. C’est avec une improvisation à l’aspirateur émouvante qu’il clôt son concert nocturne et l’équipage du TAFOLPA s’endort paisiblement. Le matin, une bonne douche chaude nous réconcilie avec le chantier naval, nous avons pris la dernière dans le cockpit du voilier, avec le tuyau du jet brrr.

Nous mettons le cap sur Capraia, c’est une île réserve située entre Corse et Italie, à la latitude du Cap Corse. Pas sûr que nous puissions rester, le port est tout petit et selon notre documentation, amarrage cul à la jetée avec l’ancre à l’avant. En route nous voyons la Corse et les Alpes dans la brume. Nous n’en croyons pas nos yeux, les jumelles confirment, tous les hauts sommets Corses sont enneigés. Une partie de la traversée est faite au moteur. PAM sort son équipement de pęche, la brise se lève et nous emmène à six nouds, beaucoup trop vite pour le leurre qui traîne derrière. Soyez cool, pas de commentaire sur la rentabilité de l’opération poisson frais à bord, CHA s’en charge pour vous.

Ce jeudi 8 juin est le jour d’une très bonne surprise, les installations de Porto Capraia ont été rénovées. Sur un ponton tout neuf, un jeune gars nous attend avec un large sourire. La bourgade est charmante, à première vue, l’île est pratiquement déserte, il y a une gelateria et un petit resto, bref tout ce que cherche PAM dans ses errances maritimes. Notre telofonino arręté pour la traversée reprend du service, je reçois le sigle TIM en pleine figure tellement le signal est fort, il n’y a qu’un émetteur sur l’ile et il est en face de nous.

Nous avons des compatriotes sur le męme ponton, ils ne parlent pas la męme langue que nous, ce sont des Parisiens comme dit mon frère. Ils se sont distingués par un amarrage raté et un envahissement brutal, bruyant et autoritaire des lieux, ils nous font honte. CHA est soudainement prise par un fou rire énorme qui m’interpelle. Un jeune homme à barbe rare, défile devant les bateaux amarrés comme un mannequin, avec serviette de bain savamment pliée sur le bras et brosse à dent tenue dans un poing possessif. Les pilosités ainsi confrontées forment un contraste irrésistible j’entends à côté de moi «heureusement que le ridicule ne tue pas». Les Italiens savent maintenant que les Suisses ça se douche à toute heure de la journée. Bon, c’est la fin de l’émission radio ponton. Ce soir j’invite ma jeune passagère au resto.

La Lampara, il s’appelle la Lampara, ce n’est pas un bistro mais un restaurant de grande classe. Bien accueillis, nous sommes d’emblée confrontés à une carte avec antipasti, 1er, 2ème et dessert avec pour seul indice que nous allons manger des produits de la mer. Les noms des plats proposés sont totalement incompréhensibles pour nous. PAM investi de la responsabilité de ne pas ressortir le ventre vide de l’établissement, demande à la patronne ce quelle mangerait ce soir à notre place. La proposition est limpide … pour elle, pour le vin ?  Voilà le tour est joué, un super dîner surprise est en préparation. Nous dégustons le poulpe, le calamar, le risotto aux fruits de mer, les spaghettis du pęcheur et probablement un rouget ou un poisson de roches succulent que nous avons vus arriver dans la barque du pęcheur en fin d’après-midi. Va bene ? Molto bene, grazie ! Peu de touristes dans cet établissement alors les locaux nous demandent d’oů nous venons, oů nous allons et nous conseillent vivement le café punch de la maison. Il faut dire que nous avons déjà dégusté la grappa, mais comme on est bien habitués au tangage et au roulis …Bon, d’accord ce soir ce n’est pas la faute du ponton.

Chaussures de marche ce matin, nous avons quelques calories à évacuer. C’est bien connu PAM n’est pas grand marcheur au contraire de CHA. Pour ce genre d’expédition c’est donc elle la loco. Cela nous fait prendre un peu de hauteur, sur le site qui n’en est que plus beau et sur notre croisière, sommes-nous vraiment raisonnables. Nous découvrons aussi une autre partie du village, à vrai dire la partie principale qui n’est pratiquement pas visible depuis le port. Il a certainement fallu batailler dur pour imposer ce concept mais c’est une réussite totale. Nous passons devant l’ancien monastère dont les moines avaient des mours tellement dissolues que l’église avait demandé à l’armée de faire évacuer le site.

Nous quittons Capraia samedi matin 10 juin à sept heures, notre objectif est de rejoindre Saint-Florent. Le cap qui protège le petit port est à peine débordé que l’écran NAVTEX se couvre d’AVURNAV (avis urgents aux navigateurs). Du 13 au 15 juin c’est la guerre totale dans toute la région des Iles d’Hyères. Cela veut dire pour nous que d’énormes zones seront interdites à la navigation ces jours là. C’est justement la zone et la période de notre retour sur le continent, c’est agaçant et c’est toutes les années la męme chose. Il est vrai qu’en hiver c’est trop dur de mettre hommes et matériel dehors et de plus il n’y a personne à gęner, c’est moins rigolo. Pour le moment il s’agit de traverser sur la Corse. A l’instar du Creus (le Horn méditerranéen), le Cap Corse est un endroit redoutable par gros temps.

Nous avons reçu un message du First 30 PELOUS, la flottille dont il fait partie, part de Calvi pour faire escale à Saint-Florent, nous y seront donc en męme temps. Rendez-vous est pris pour passer la soirée ensemble, nous ne connaissons pas Philippe ni ses Amis mais du moment qu’ils naviguent avec un First 30, ils ne peuvent ętre que sympa. Pour nous la traversée se fait dans de très bonnes conditions. Une petite pause de vent permet de tremper la ligne... mais déjà TAFOLPA reprend une vitesse ruinant les ręves de pęche du capitaine. C’est maintenant à vive allure que nous descendons la côte qui mène à Saint-Florent. Le temps est magnifiquement clair et le paysage de toute beauté. Des dauphins sautent au ralenti à une centaine de mètres du voilier, ils ne viennent pas à nous alors c’est nous qui allons vers eux, nous coupons le groupe en deux sans qu’ils ne manifestent aucun intéręt pour nous.

A 15h30 nous sommes déjà devant Saint-Florent, le mouillage est très agité, nous finissons à côté de la pompe à essence, un endroit également agité. CHA a fait le tour du port, la flottille n’est pas encore arrivée, ils avaient pourtant la moitié moins de route à faire que nous. Vers 18h nous envoyons un texto à PELOUS, réponse «un peu de retard» arrivée vers 20h30. La nuit tombe et une annexe dont les avirons sont manouvrés avec brio est à quai, ce sont Philippe et son équipier Michel. Le mouillage a eu le temps de redevenir calme. Il sera finalement 22h30 lorsque l’équipe sera complète. Dégustation en entrée des savoureux exploits des retardataires, avec l’accent du midi !

Plus tard le garçon nous fait discrètement remarquer qu’autour de nous toutes les chaises sont sur les tables. Embarquement de six solides gaillards sur deux fręles annexes, l’inévitable se produit : un homme à la mer ! Pour ressortir du jus, le pantalon de ciré n’est pas le meilleur allié, surtout lorsqu’il serre un peu aux mollets, bref c’est dans une monstrueuse éclatée de rire que se termine la rencontre. Nous apprendrons par texto et avec tristesse que l’un des trois bateaux s’est fait drossé sur la côte du Cap Corse deux jours plus tard. Les dégâts  sont importants mais l’équipage est intact.

Dimanche 11 juin, nous ne partons pas très tôt, pas de vent, nous traînons à la vitesse de l’escargot dans la rade de Saint-Florent. Le carnet du pęcheur reste désespérément vierge. Aller à Calvi au moteur ne nous tente pas, si déjà nous devons mettre le moteur, nous traversons ! Propositions contraires ? Abstentions ? 12h00 Cap sur la grande passe des îles d’Hyères. Après une petite heure de route le vent se lève et c’est toutes voiles dehors que nous abordons une vieille mer croisée, insupportable, nous sentons les prémices d’un sérieux mal de mer. Ce n’est qu’en début de soirée que nous arrivons à faire face et à confirmer l’option de la traversée vers le Continent.

Nous avons navigué 140 milles en 22 heures et recevons le texto «je vous ai inscrits à la coupe de l’América», nous recherchons donc des sponsors. Beaucoup de rencontres mais surtout deux à signaler : le voilier tous feux éteints à quelques centaines de mètres de vous reste toujours impressionnant, cette fois c’était un oubli, quand nous avons éteints nos feux ils ont compris. Le moment le plus merveilleux a été celui passé au milieu d’une colonie impressionnante de dauphins qui ont accompagné TAFOLPA pendant plus de cinq minutes, nous nous trouvions à N 42° 58,4  E 006° 27,4 donc très près de l’Ile du Levant, jamais nous ne pensions voir les dauphins si près des terres. Y aurait-il amélioration de la qualité des eaux ?

En prenant la bouée du mouillage de Porquerolles nous avons bouclé notre périple, le chemin du retour se fait sur une route maintenant bien connue et décrite dans nos autres croisières. Merci à tous ceux qui nous ont donné de leurs nouvelles. A bientôt !

Avec les cordiales salutations de Charlotte & Pierre-André.