Lorsque dans les mois de l’été, un navire, parti de Londres, vient prendre son poste d’amarrage dans le port de Marseille, il peut croire, et tout l’équipage anglais d’accord avec lui, qu’il touche pour la première fois l’Orient.

Le Taranis à la première section du hangar 5 s’était ancré dans cette idée et se laissait doucement convaincre, la quille au frais, la coque noire et les superstructure marron, couverte d’un soleil impalpable, par la persuasion intime qui remplissait ses habitants.

Ils avaient vu le commis de Jean-François monter à bord, avec un costume de toile écrue comme en fabriquent, à Saïgon, les couturiers annamites, chaussé de souliers blancs, les yeux sous des lunettes vertes et la tête protégée par un feutre gris clair, du genre australien.

Penché sur la lisse, le premier officier observait que les deux peseurs et les deux agents de police du quai portaient le casque kaki, et rentrait chez lui pour changer la coiffe de sa casquette. Les petits lieutenants étaient déjà à terre, tout blancs, d’accord avec l’escale chaude. Ils marchandaient les colliers et les tapis comme sur l’appontement de Port-saïd dans un jargon maritime où déjà quelques mots d’arabe se mêlaient en prévision.

Une chaleur de sieste venue des quais les plus lointains, étendus à perte de vue, endormait jusqu’au gardien au pied de la luxueuse échelle de coupée, cependant que des palanquins languissants tournaient au dessus du bord à la hauteur de la cale qui travaillait.

Autour du courrier se rangeaient des navires de tonnage inférieur, des calfats martelaient la coque rouillée du Ghibli et les peintres sur des planches suspendues le long du bord recouvraient de minium la quille du Pellous de Port Camargue. Des ouvriers entourés de coffres rectangulaires installaient des feux de forge sur l’arrière de petits vapeurs que les capitaines abandonnaient aux ateliers pour prolonger à Marseille un séjour que les armateurs avaient prévu trop bref. (…) Des fonctionnaires du gouvernement des Indes dormaient dans les cabines ventilées, avec leurs femmes au décolleté recuit, et le commandant, toutes ouvertures de la salle de bains condamnées, nu, allait et venait sur le dallage tiède et retardait, de minute en minute, par une complication voluptueuse, le moment d’entrer dans sa baignoire d’eau froide.

Que l’auteur, de son paradis, nous pardonne quelques changements dans l’identité des bateaux et des personnages.

Aux Armes de Cardiff

Louis Brauquier : « Aux armes de Cardiff ». Marseille, 1926. Édition La table ronde, Avril 2000