Astrolabe rentre à Arzal

par Ivan (ASTROLABE) - 1 septembre 2005

 

De retour du désormais traditionnel et ô combien sympathique autant qu’instructif rassemblement atlantique, nous faisons étape à Piriac le dimanche 21 au soir, au terme d'une navigation express (4 heures de Port-Haligen, soit 6,5 nouds de moyenne sous GV + génois) ayant bénéficié sur une grande partie du trajet d'un noroît soutenu de 18-22 nouds.

 

Au su des restrictions d’eau limitant fortement le nombre d’écluses et d’une forte marée basse à 14h, un calcul en principe savant (mieux vaudrait « sachant » quelquefois…) fait état d'un départ à 8h30 pour embouquer la Vilaine vers 10h30 et ainsi disposer d’une heure et demie pour parvenir à Arzal en disposant du minimum d’eau requis selon mon expérience, à savoir 1,6 m au dessus du 0. Avec le fort courant prévisible dans le pif, le timing est serré, mais semble réaliste et puis j’ai une sainte horreur d’etre en avance, plus encore sans doute que d’etre en retard.

 

Les bouées d’entrée sont finalement doublées vers 10h40. Le jusant est au rendez-vous, plus hélas que le noroît 4 à 5 que les augures météo nous promettaient la veille encore – et sur lequel je comptais un peu pour booster notre remontée et favoriser une gîte salvatrice - avant de réviser piteusement le matin leurs prévisions à un petit suroît de 2 à 3. Temps de secteur chaud déprimant, horizon bouché et bruine, le baromètre est encore en baisse et il ne faut guère escompter la bascule au noroît à court terme. Nous étalons tant bien que mal au moteur mais mon brave Yanmar 8CV historique (un des tout premiers modèles selon l’avis éclairé de Laurent) a beau s’époumoner, nous ne dépassons guère les 2 nouds sur le fond. Je rassemble mes souvenirs de jeune kayakiste d’eaux vives pour tenter de trouver les contre-courants, hélas le chenal est étroit à ce niveau d’eau et les marges de manouvres limitées. C’est finalement à 12h15 que nous parvenons en vue de l’écluse encore fermée. A 12h30, elle s’ouvre enfin mais les feux restent rouges, sans doute pour dissuader les candidats à fort tirant d’eau dans notre style.

 

Pour l’avoir en plusieurs occasions caressé de ma quille, je sais en effet qu’il y a un seuil de vase à l’entrée. Néanmoins, un ultime calcul me conforte dans l’idée que nous nous trouvons à cet instant précis avec sensiblement la meme hauteur d’eau que 15 jours auparavant lorsque j’avais réussi in extremis et au forceps mon entrée dans l’écluse. C’est donc jouable et permettra à certains d’entre nous d’aller à terre en attendant l’éclusage suivant prévu à 16h.

 

Je mets tout le monde à la gîte, cravache mes pauvres chevaux-moteur efflanqués, et lance la bete à tribord d’un Gladiateur qui fait la meme tentative hérodque. Las, c’est le moment que choisit fort inopportunément une misérable barcasse à moteur - que Neptune la damne à jamais !-  pour se précipiter devant mon étrave avant de ralentir, une fois bien positionnée dans mon axe de progression. Trop tard pour faire demi-tour et si je freine je ne passerai pas. Tant pis, le vin est tiré, je contourne le fâcheux par tribord me rapprochant ainsi du mur d’attente juste en amont de l’entrée. Je suis conforté dans cette option par le souvenir d’un « barbu à gueule tannée de vieux loup de mer » croisé à l’occasion d’un éclusage m’assurant qu’il fallait, à basse eau, sortir du sas par la gauche avant de tirer vers tribord (donc l’inverse en ce qui me concerne). Je fonce plein tube et… l’Astrolabe tanke avec enthousiasme !

 

A son mouvement d’arret souple, mais franc et net, je comprends immédiatement que le mal est sans remède, la vase a bien assuré sa prise. Pour en convaincre mon équipage plus que par réelle conviction, je tente néanmoins les manouvres d’usage, toutes parfaitement infructueuses. Certes, comme le souligne justement Cyrano, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile, mais je mets vite fin à la représentation malgré l’intéret évident de quelques quidams sur la rive. Moteur arreté, dans le silence des grandes défaites, nous nous appretons à prendre un bain de boue en rassemblant toute la philosophie qui nous reste. Le Gladiateur, lui, a forcé le passage (non sans mal au demeurant) et se balance nonchalamment dans l’écluse…

 

La fin du jusant découvre un spectacle édifiant : toute la partie près du mur est recouverte d’une couche de fange à faire frétiller d’extase un hippopotame. Nous nous sommes fourvoyés à l’endroit précis à éviter !!! A l’étale (50 cm d’eau environ au dessus du 0), une grande partie du chenal découvre, y compris les bouées vertes que nous pouvons distinguer au loin sur leur lit de boue. Impressionnant… Nous reposons alors nous meme presque entièrement dans une gadoue molle et uniforme, seule la poupe  baigne dans un liquide qui peut passer pour de l’eau.

 

 

 

 

 

J’avise à cet instant une annexe qui se dirige vers l’écluse. Sautant sur cette occasion inespérée, je raboute rapidement 3 aussières. J’en frappe une extrémité au taquet d’amarrage et demande aux arrivants de passer l’autre derrière un grand cylindre de béton situé 20 m sur notre arrière et destiné à un futur ponton d’attente, ce qu’ils font fort gentiment. Je la récupère et la tourne au winch. Nous avons ainsi au moins une bonne chance de nous déhaler avant l’éclusage de 16h et ne risquons plus d’aggraver notre cas avec le vent qui s’est levé et tend à nous pousser vers le point haut de la vasière. De fait, le flot fait son travail en libérant une partie de la carène et à 15h45, une tentative au winch fait lentement culer l’Astrolabe en dégageant progressivement la quille de sa lourde gangue. Nous avons à nouveau un navire sous les pieds, victoire !

 

 

La rentrée dans l’écluse (par le bon axe !) n’est plus qu’un jeu d’enfant… 

 

Moralité : on ne saurait trop se méfier des barbus à gueule tannée de vieux loup de mer… Pendant que j’y suis, quelques conseils en outre à ceux qui empruntent la Vilaine par basse mer sans etre familiers des lieux :

 

  • calculer son horaire pour pouvoir disposer de 1,6 m d’eau minimum au dessus du 0 pendant tout le parcours (valable pour 2005, mais les choses vont bien sur en empirant…)
  • rester à bonne distance des bouées du chenal (10 à 20 m selon les endroits) et des alignements entre bouées successives, bien arrondir les virages du parcours
  • pour entrer ou sortir de l’écluse, vous l’aurez compris, surtout bien rester dans l’axe et prendre son élan quant on est « aux limites » afin de franchir le seuil en faisant gîter le bateau autant que possible
  • si l’on est en dessous des 1,6 m à l’arrivée ou au départ de l’écluse, il vaut mieux rester sur le gros coffre visiteurs jusqu’à ce que le niveau remonte
  • les seuils les plus hauts en allant vers Arzal se situent à l’embouchure (devant Pen Lan, rester dans l’alignement à 90° entre la cardinale Ouest de Kervoyal et les bouées d’entrée), près de l’avant dernière bouée verte (bien s’en écarter) et à 10 m de l’entrée du sas
  • pour ce qui est du choix entre les passes de la Varlingue et la Grande Accroche quand il y a très peu d’eau, j’ai personnellement deux fois vu des bateaux se scotcher sur la première pendant que je passais sur la seconde…
  • le courant en vives-eaux est de 2 à 3,5 nouds selon les endroits avec un pic sur la grande ligne devant Tréhiguier
  • avec un moteur tirant à 5 nouds par temps plat, on peut compter 55 mn en moyenne. Suivant le vent et le courant je descends jusqu’à 35 mn ou je monte jusqu’à 1h30.

 

Ivan

Astrolabe